• À part prof, je sais rien faire...

     

    ... ou "Les compétences insoupçonnées des profs".

    Le leitmotiv qui bloque pas mal de profs en souffrance, parfois durant des années, c'est bien celui-là.

    En me baladant sur le forum de profs découvert début novembre, je suis tombée sur une discussion qui liste nos compétences, et même si inconsciemment on se doute qu'on n'est ni une larve ni un fainéant ni un ignare, on se sent rapidement pris dans une bulle où nos seules compétences seraient de faire de la discipline, préparer des cours et corriger des copies - trois "qualités" qu'on ne se voit pas exploiter dans n'importe quel autre métier.
    On perd alors de vue tout le reste, et même ce que ces trois compétences ci-dessus impliquent déjà de savoir-faire et de savoir-être.

     

    Teaching is the greatest act of optimism

    D'abord, déjà, c'est vrai que nous sommes de grands optimistes !

     

    Capacités d'adaptation

    En début de carrière, et même ensuite, selon le parcours de chacun, s'adapter à différents établissements, fonctionnements, publics, niveaux (de la 6è à la Terminale) et bouquins, en sachant que tout ce qu'on ne nous a jamais enseigné n'était que l'élaboration d'un cours parfait pour des classes parfaites.

    Nous nous remettons en question au jour le jour.

    S'adapter à une administration changeante, qu'il s'agisse des chefs d'établissement et leurs diverses marottes, les inspecteurs pédagogiques et leurs diverses marottes, les ministres et leurs sous-fifres grands pédagogues qui n'ont plus mis un pied en classe depuis des siècles et pondent des nouveaux programmes et de nouvelles directives tous les 2, 3, 4 ou 5 ans.

    S'adapter au public et modifier notre approche et notre langage : des classes plus difficiles que d'autres, des groupes au niveau plus bas que d'autres où il nous faut adapter le cours, des parents d'élèves allant des plus agréables aux plus agressifs, en passant par ceux qui vous conseillent sur vos cours, vous reprochent telle attitude, sont en détresse ou manquent eux-mêmes d'instruction.

    Intégrer les évolutions sociales et culturelles du monde extérieur à l'intérieur de la salle de classe.

     

    Esprit de synthèse, clarté du discours


    Nous sommes obligés d'en savoir plus que nécessaire, pour synthétiser les contenus à transmettre et les rendre accessibles à différents publics.

    Nous sommes amenés à devoir nous exprimer clairement autant devant des enfants, des adolescents, que devant des adultes (parents, collègues, administration).

    En tant que professeur principal, nous sommes amenés à collecter, par écrit ou à l'oral, toutes les informations sur notre classe ou sur un élève en particulier, que ce soit pour rédiger la synthèse en bas des bulletins 3 fois par an, transmettre une information claire à des acteurs extérieurs (Maison Départementale du Handicap, éducateur spécialisé, police, neuropsychiatre...) ou mettre sur pied une stratégie de "remontage de bretelles".

    Nous sommes capables de poser un diagnostic, élaborer une stratégie et surtout, faire le bilan (ce que notre ministère ne fait jamais à chaque réforme...).

     

    Auto-formation, veille documentaire

    Face à des générations zapping, nous cherchons sans cesse de nouvelles activités, que ce soit en réfléchissant tout seul dans notre coin ou en surveillant des sites internet.

    Nous lisons des ouvrages de pédagogie (mes dernières lectures ? "Transformer la violence des élèves", "Cessons de démotiver les élèves", "Les intelligences multiples", "Enseignants efficaces", "La revanche des nuls en orthographe").

    Exemple de dysgraphieNous faisons de notre mieux, sans formation ni initiale ni continue, pour accueillir et accompagner, indifféremment, des enfants dyslexiques, dysgraphiques, dyspraxiques, dysphasiques, autistes légers, hyperactifs avec ou sans traitement, malentendants, malvoyants, épileptiques, surdoués... dont la proportion a incroyablement augmenté et pour lesquels l'administration nous somme de mettre en place tous les dispositifs nécessaires. Personnellement, j'échoue à pouvoir préparer un cours, mener ce cours et l'évaluer en pensant à chaque fois que ce cours vise 2 dyslexiques, 1 hyperactif avec un an de retard, 2 élèves précoces avec 2 ans d'avance qui assimilent vite et ont faim d'apprendre, un malentendant, 6 ou 7 élèves plutôt bons et intéressés, 4 ou 5 élèves plutôt bons mais désabusés, 3 élèves perturbateurs, 5 ou 6 élèves moyens et passifs, 2 ou 3 élèves absentéistes dont le sac contient du maquillage et un cahier tout torché...

    Utilisation d'outils informatiques et numériques, toujours sans formation officielle obligatoire (à nous de penser à nous inscrire à un stage repéré dans le PAF : Plan Académique de Formation, en croisant les doigts pour qu'on nous l'accorde) :
    - logiciel ProNote pour saisir les résultats, les bulletins, le cahier de textes, les punitions, remarques, heures de colle, et suivre des discussions entre collègues, prendre régulièrement connaissance des modifications de l'agenda (réunions, sorties scolaires...), faire le suivi des élèves, etc.
    - savoir utiliser un traitement de textes, voire un tableur et l'outil de création d'un diaporama interactif.
    - prendre en main les fameux TBI (Tableau Blanc Interactif), toujours sans formation imposée initiale. Ce sont des outils extras, très riches, mais très très complexes à maîtriser.
    - éventuellement, selon les idées, les envies et les compétences des uns et des autres : savoir filmer et monter une petite vidéo, l'héberger, la protéger...; utiliser un dictaphone ; créer des formulaires avec Google permettant une mutualisation de données ou l'élaboration d'un questionnaire consultable par les élèves ; créer un blog à l'usage des élèves, ou des collègues...

    Savoir rendre des contenus et des concepts "virtuels" plus concrets et attractifs en les raccrochant au quotidien et/ou à l'actualité : un Professeur des Écoles visitant un jardin botanique le samedi n'aura de cesse d'imaginer une séquence possible, voire de contacter le gérant du jardin pour organiser une sortie ou des activités pédagogiques. Me concernant, c'est aussi ce que je finis par trouver épuisant et envahissant ; la moindre série télé anglophone, le moindre événement sportif international, une visite au musée ou la lecture d'un article sur un quartier de Londres en pleine évolution ou le visionnage d'un documentaire sur l'état de la planète... tout devient prétexte à un cours potentiel.

    Gestion de groupe, des conflits

     

    Par obligation, au fil de l'expérience, nous savons faire face à une difficulté soudaine et la gérer de suite : un conflit naissant en classe entre deux élèves ou entre un élève et vous-même, une activité qui ne fonctionne pas et qu'il est urgent de modifier rapidement sous peine de voir le cours partir en vrille, cela en faisant appel à diverses compétences :
    - identifier rapidement la difficulté et les moyens de la résoudre (activité trop ambitieuse ou pas suffisamment, consignes trop nombreuses, mon propre état émotionnel...)
    - négociation : en interne (on négocie avec soi-même pour discrètement abaisser le seuil de tolérance ou modifier nos exigences habituelles, temporairement, afin d'éviter une catastrophe) ou avec l'élève, ou le groupe d'élèves, voire la classe entière.
    - accepter de devoir abandonner ce qui était prévu, pour entamer un dialogue ou improviser une activité intermédiaire
    - accepter de se mettre soi-même en veilleuse et d'écouter ce que le groupe souhaite dire
    - capacité d'improvisation

    Plus généralement, nous avons aussi la capacité de rapidement "cartographier" chaque groupe, en identifiant les individus sur lesquels on pourra s'appuyer, ceux dont il faudra se méfier et ceux à encourager, les affinités, les profils contraires, les associations fructueuses et celles toxiques au groupe. Personnellement, ma capacité à cela est assez moyenne, mais plutôt suffisante pour m'éviter des catastrophes.

     

    Organisation


    - Sorties scolaires, voyages : élaborer un programme, contacter les bonnes personnes, contourner des obstacles, trier les documents et les paiements, organiser des actions susceptibles de faire rentrer de l'argent, planifier les délais, tout anticiper (le pire et le meilleur) pour avoir sur soi la trousse de première urgence, la liste des personnes à contacter, les bonnes fringues...

    - Conception et mise en œuvre de projets collaboratifs

    - Planification des progressions pédagogiques.

     

    Et puis, surtout, des trésors de patience...

     

    Bref ! J'ai trouvé ce dessin dont je n'ai pas vu tout de suite le titre, au centre : Compétences et caractéristiques de l'apprenant d'aujourd'hui - moi j'ai vu un prof multi-tâches ! Pas si étonnant, au fond, car ce que l'on attend d'un élève, ce sont des capacités que le prof doit maîtriser pour être à même de les transmettre. J'ai adapté en français, pour mes lecteurs non-anglophones :)

    Compétences et attributs d'un prof

     

    Et du coup, ben on peut être une sacrée bombe sur le marché du travail,
    contrairement à ce qu'on croit bêtement durant des années.
    'Té, le bol d'air que ça m'a fait !

     

     

    3 décembre 2015 | Quitter l'enseignement ? | Commenter (3)Retour aux articles récents


  • Commentaires

    1
    Jeudi 3 Décembre 2015 à 20:35

    Donc à part prof, tu peux faire PLEIN de choses !!!

      • Vendredi 4 Décembre 2015 à 19:20

        Carrément ! Bon, faut se former un minimum sur des contenus spécifiques, mais wala !

    2
    Jeudi 3 Décembre 2015 à 22:20

    Alice a raison : Tout ce que tu racontes là est un imposant CV pour diverses entreprises.


    Ah, au fait, en lisant cet article, je me sens bien content de ne pas avoir poursuivi, même si j'ai un diplôme d'enseignant.

      • Vendredi 4 Décembre 2015 à 19:20

        Et on va dire que moi, je suis contente de prendre le chemin vers la sortie avant de regretter tout à fait :)

    3
    Samedi 5 Décembre 2015 à 12:58

    À part prof, je sais rien faire, c'est une phrase qui me fait bien marrer ...

      • Lundi 7 Décembre 2015 à 10:06

        Oui, moi aussi, maintenant, et j'ai déjà commencé à porter cette "bonne parole" auprès de quelques collègues ^^

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