• Carapace

     

    2 ou 3 septembre 2013
    Valentin, élève de 3è que j'ai eu le grand plaisir d'avoir en 4è, fait une tentative de suicide. Il semble que le "collège" soit lié à cet acte. Il devait revenir le 4 novembre après les vacances de Toussaint, un programme de rattrapage des cours a été mis en place, auquel je participe ... en lui donnant des cours à domicile que je débute jeudi 7 puisqu'il ne parvient toujours pas à envisager son retour au collège.

    5 novembre 2013
    François, un collègue, est sauvé in extremis d'une tentative de suicide par le Principal-Adjoint, qui a eu la puce à l'oreille. Je connais le parcours de François, ce drôle de bonhomme que je croise chaque jour : bipolaire qui se soigne, tumeurs au cerveau en 2011 qui nécessitent une opération, laquelle diagnostique des tumeurs bénignes, divorce dans la foulée, son ex-femme qui lui mène la vie dure, porte plainte, monte ses enfants contre lui.

    12 novembre 2013
    Je m'apprête à rejoindre Valentin chez lui pour un 2è cours sur les 8 programmés. Mais je reçois un message écrit pendant un cours :  Valentin est hospitalisé à nouveau - ne pas se présenter pour les cours.
    OK ... j'ai compris ...

    Depuis septembre, j'enregistre ces informations, les trie, les classe, les range, intellectuellement perturbée mais sans réaction émotionnelle particulière. C'est  une question de peau, je crois ...
    Ma peau.

    Ce soir, je me suis fait une "playlist" tandis que je saisissais des dizaines de notes dans le logiciel scolaire.

    Me suis rendu compte qu'elles n'étaient pas folichonnes, mes chansons.

    Me suis arrêtée de "rentrer" des notes en dressant l'oreille sur des paroles.

    Ma gorge s'est nouée.

    La carapace s'est fendue.

     


    Sufjan Steven - John Wayne Gacy Jr.

     

    His father was a drinker
    And his mother cried in bed
    Folding John Wayne's T-shirts
    When the swingset hit his head
    The neighbors they adored him
    For his humor and his conversation
    Look underneath the house there
    Find the few living things
    Rotting fast in their sleep of the dead
    Twenty-seven people, even more
    They were boys with their cars, summer jobs
    Oh my God

    Are you one of them?

    He dressed up like a clown for them
    With his face paint white and red
    And on his best behavior
    In a dark room on the bed he kissed them all
    He'd kill ten thousand people
    With a sleight of his hand
    Running far, running fast to the dead
    He took off all their clothes for them
    He put a cloth on their lips
    Quiet hands, quiet kiss
    On the mouth

    And in my best behavior
    I am really just like him
    Look beneath the floorboards
    For the secrets I have hid
    Son père buvait
    Et sa mère pleurait dans son lit
    Elle pliait les T-shirts de John Wayne
    Quand la balançoire heurta sa tête
    Les voisins l'adoraient
    Pour son humour, sa conversation
    Regardez sous la maison
    Trouvez-y les rares choses vivantes
    En train de pourrir dans leur sommeil sans vie
    27 personnes, même plus
    C'étaient des garçons, leurs voitures, leurs jobs d'été
    Oh mon Dieu

    Es-tu l'un d'eux?

    Il s'habillait en clown pour eux
    Le visage peint, blanc et rouge
    Et dans ses meilleurs moments
    Dans une pièce sombre, sur un lit, il les embrassait tous
    Il tuerait dix mille personnes
    D'un seul geste de la main
    Courir loin ... courir vite vers la mort
    Il leur a retiré tous leurs vêtements
    Il a posé un tissu sur leurs lèvres
    Mains calmes, baiser calme
    Sur la bouche

    Et dans mes meilleurs moments
    Je suis vraiment comme lui
    Cherchez sous le parquet
    Les secrets que j'ai cachés

    Chaque mot de cette chanson ne (me) parle pas forcément pour le sujet de ce billet, mais mon âme pleure sur ces 2 lignes : "Les voisins l'adoraient pour son humour et sa conversation" ... Valentin ... 14 ans ... garçon délicieux, doux et drôle, ouvert et cultivé, indépendant, imperméable en apparence ... a choisi de se faire violence.
    Plus globalement, la violence de découvrir qu'un proche est un tueur ... je la rapproche de la violence de découvrir qu'un proche a voulu en finir. Et puis, le parcours d'une souffrance.

    La souffrance est telle ... telle ... que pour certains, tuer l'autre est une recherche de la solution, pour d'autres, mettre fin à "moi" est une solution ... Et pour ceux qui restent, qui attendent, tentent, espèrent ... la souffrance est innommable.

    Je n'ai pas encore "osé appeler les parents de Valentin.

     

     * * * * *

     


    Cat Power - Maybe not

     Je n'arrive pas à traduire correctement le texte de cette chanson, il est tard, je suis fatiguée, et je désire publier pourtant. Disons qu'il y est question de rêve libre, de rêve de liberté, que si nous ne possédons rien, nous ne pouvons rien perdre (je réalise soudain combien c'est faux ... l'amour d'un ami, d'un amour, d'un parent ?! Abattre un arbre, arracher une forêt, mettre à mort un taureau, dézinguer un loup? ... Refuser des soins psys à ma sœur autiste? ... ) ..., que nous pouvons tous être libres, peut-être pas (le titre) par la puissance du verbe, peut-être pas par la puissance du regard, mais juste dans l'esprit.

    Et ces paroles me font peur tout à coup - vouloir en finir, n'est-ce pas justement que l'esprit ne s'en sort pas, ne s'en sort plus, prisonnier de contingences matérielles, aliéné à des chimères, malmené par ce qui fit son bonheur, perplexe et désemparé devant de nouvelles donnes? À l'heure où j'écris, racisme et homophobie redeviennent "présentables", "acceptables" en Europe ..., le droit à la différence a de sombres jours devant lui ... le droit de rêver et d'être autre, d'être simplement soi ....

    J'ai peur pour Valentin.
    J'ai peur pour François.

    J'ai peur pour moi si ... le jour où  on nous annoncera ...

     

    Et tandis que je rédige laborieusement ces dernières lignes qui me fouaillent la poitrine, une autre chanson me vient soudain.


    Hervé Cristiani - Il est libre, Max

     

    Et ma gorge se dénoue.
    Les larmes racontent.
    Libèrent.

     

    Pour un temps.

     

    Car ... comment planter la graine de Max dans un esprit qui s'est déserté à lui-même?

     

     

     

    13 novembre 2013 | Quitter l'enseignement ? | Commenter


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 00:42

    Ton billet me serre le coeur.
    Alors je ne dis rien.
    Je fais un signe d'amitié virtuelle.
    Pour toi. Pour eux.

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    2
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 06:57

    Merci pour eux, Nikole  :) Ce matin je suis un peu gênée d'avoir publié ce billet car si j'ai mal pour eux, mes journées ne sont pas grises et pleines de gestes lourds, de pensées perdues comme ce doit être le cas pour leurs familles.

    3
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 08:02
    Fabymary POPPINS

    c'est terrible ces douleurs de l'âme, mon fils est infirmier psy et en parle souvent, sois proche d'eux qu'ils sachent que tu es là ça peut faire toute la différence, crois moi, bises

    4
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 09:27

    Il ne faut pas être gênée, c'est normal d'être triste devant un monde qui marche sur la tête, devant les souffrances des autres. 

     

    5
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 09:51

    Je suis effaré de constater ce repli général sur des petits problèmes de météo pour le weekend prochain et autres conneries du même genre. Je l'entends autour de moi, je le lis dans une certaine blogosphère. Les gens sont déboussolés, déçus, démoralisés... et se cachent les yeux tout en faisant tout ce qu'il faut pour que rien ne change. Brûlons les portiques de l'écotaxe (certes bien mal amenée) pour ne pas entendre parler de pollution ou de dépendance énergétique ; tuons des Loups pour ne pas parler des éleveurs qui n'en sont plus ; et réjoissons-nous car les Occidentaux ont apporté beaucoup de matériel aux Philippines à l'aide de gros avions qui contribuent au dérèglement climatique qui provoque des typhons...
    Je comprends que certains aient mal à la tête devant ce triste spectacle, mais si ceux-là laissent tomber...
    Le pire n'est jamais certain, mais les Bisounours ne perturberont certainement pas JO de Poutine !
    Pas le temps de finir, mais tu comprends le message, il faut gueuler, bouger, taper dans la fourmillière, dire ce qui ne vas pas...
    Bises, a+.

    6
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 11:56

    Tout ce qui me vient au doigt est inaproprié. Je sens, voilà tout.

     

    7
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 18:11

    Je tiens à vous remercier chaudement pour vos messages, ce n'était pas évident de commenter :)

    Les nouvelles sont plutôt bonnes pour l'heure : Valentin est rentré chez lui et le dispositif de rattrapage des cours reprend la semaine prochaine. François ne sait pas ce qu'il lui a pris, nous a fait parvenir un message d'amour via une collègue, assorti d'une promesse ...

    Prenons les choses comme elles viennent, quand elles viennent.

    Et pour moi, m'exprimer ici et un peu ailleurs m'a fait du bien, je suis toujours dans une très bonne dynamique (ce qui est surprenant pour un mois de novembre) et aujourd'hui, je n'ai pas oublié de rigoler, de faire une colère avec une classe, de corriger des copies (auto-satisfaction au summum), de souhaiter son anniv' à un copain ... ouf!

    Sparfell, oui, je comprends le message. Je crains de faire partie de ceux qui ne bougent plus beaucoup, juste des petits trucs à mon niveau ... Bon, j'en reparlerai sans doute, le sujet est vaste, hélas

    8
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 18:22
    Fabymary POPPINS

    Merci Lulette pour ces nouvelles rassurantes et tu vois que la météo ou le mois n'influencent pas toujours le moral, si il est bas c'est autrre chose en soi, bises amicales

    9
    Jeudi 14 Novembre 2013 à 19:33
    10
    Vendredi 15 Novembre 2013 à 11:46

    Quand je pense que tu m'avais dit avoir décidé de "vivre bien" cette nouvelle année !

    Bon les TS d'élèves, je connais. J'en ai même vécue une de réussie (sais plus si j'en ai déjà parlé).
    C'est, en soi, insupportable.
    Les TS de profs je n'ai pas croisées, mais j'entends.

    Me donne pas envie d'en causer pour autant.

     

    11
    Vendredi 15 Novembre 2013 à 13:10

    Leoned, moi je la vis toujours bien, cette nouvelle année, je pourrais presque dire que je suis montée sur ressorts et que j'ai le sourire tous les jours. Ce qui ne m'empêche pas - heureusement - d'être atteinte par les événements environnants, ici, là-bas, ailleurs.   :)

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