• Irritations

     

    ou Le Journal des bonnes nouvelles
    l'envers du décor

     

    Souvenez-vous, voilà 7 jours à peine, je diffusais mes sourires de Bisounours. C'est fou comme quelques heures d'une seule matinée peuvent te rappeler que les Bisounours ça n'existe pas!

    *Irritation

    Ne vous z'inquiétez pas, l'image est bien plus gore que ce qui se passe réellement dans ma tête :)

     

    Prenons le cas d'Isidore et passons en revue notre difficile relation.

     

    *  *  *

    Pour mémoire  (Article publié le 9 novembre)

    Extraits de dialogues avec le "stagiaire" que je "coache" cette année. Appelons cet homme, qui a mon âge, Isidore (ça vous renseigne sur mon âge!)

    Sur les problèmes de discipline (bavardages, salle dans un état lamentable après ses cours ...)

    - "Prends leur carnet de liaison et tu écris un mot aux parents."
    - "Mais je ne sais pas quoi écrire."
    - "Tu décris ce qui a dérangé le cours."
    - "Ouais mais bon les boulettes de papier, les bouts de gomme ça dérange pas vraiment ... ça fait pas de bruit ... Et puis pour l'agitation, c'est normal, l'anglais c'est amusant!"
    moi, in petto : C'est amusant quand on fait des cours avec des activités ludiques ... ce que je n'ai pas vu à ce jour
    -
    "Et tu comptes prendre leur carnet à quelle occasion, alors? Quand ils se seront battus? Quand ils t'auront insulté?"
    - "Oui, voilà!"
    - "Alors ça, ça relève de la commission disciplinaire, voire du conseil de discipline, y'a pleins d'étapes intermédiaires qui te permettent à la fois d'obtenir peu à peu une attitude propice
    au travail ET d'informer les parents."

    - "Bon, ça fait 10 minutes qu'on parle discipline, sanctions, punitions ... ça me fatigue, quoi ... c'est pas le job."
    - "D'accord. Alors pose-toi une question en entrant en classe, fixe-toi une priorité. En termes humains, est-il normal que tu parles par-dessus les élèves? À toi de voir, en tant que personne, si tu souhaites te faire marcher dessus à chaque cours."
    - "...."
    - "...."
    - "Ah ouais ... quand même ..."
    - "Ben oui ... sachant que ton objectif pédagogique, c'est qu'ils entrent en classe avec un niveau N, et qu'ils ressortent avec un niveau N+iota ... Comment vas-tu atteindre cet objectif dans le bruit, sans contrôler leur travail, sans passer dans les rangs ...?"


    Sur tout le reste (mise en œuvre d'activités spécifiques, évaluations, préparation des cours)

    - "Tu as fait acheter le cahier d'exercices?"
    - "Non, je leur ai dit que nous n'en aurions pas besoin."
    - "Oui mais tu le leur photocopies à tour de bras, alors dis-leur de l'acheter, c'est pas vivable."
    - "Mais je ne peux pas revenir en arrière sur quelque chose que j'ai dit!"
    - "Si si, tu peux, tu as le droit de te tromper, tu as le droit de changer d'orientation, surtout en tout début d'année."
    - "Ah tu crois?"
    - "Oui."

    (8 jours plus tard)
    - "Tu leur as dit d'acheter le cahier d'exercices?"
    - "Euh ... non mais, c'est pas bon que je fasse marche arrière, en termes de crédibilité."
    - "Tu es crédible quand tu es cohérent ; là, tu ne l'es pas, tu leur photocopies le cahier intégralement ..."
    - "..."
    - "OK, si tu veux un autre argument, parlons des droits d'auteur ... Si l'inspecteur réalise ce que tu fais, ça va chauffer."
    Les gamins ont acheté le "workbook".


    - "Alors, le prétérit de "have got", c'est "had", faudra que tu leur fasses effacer le "got", d'accord?."
    - "T'es sûre?"
    - "Oui, je suis sûre."
    Nan mais oh, ça va bien oui!?


    - "Par exemple, cette leçon, tu pourrais commencer avec une vidéo, ou un jeu de vocabulaire, regarde, je te montre ce que j'avais fabriqué."
    - "Oh ... mais c'est du boulot, ça!"


    - "Faudrait quand même que tu élabores des leçons, des fiches de vocabulaire, tu vois ...."
    - "Ouais ... mais je suis pas fort en informatique ... c'est du boulot."

    - "Tu n'as fait qu'une évaluation en 8 semaines!?"
    - "Oui, je me conforme au manuel."
    - "Mais ... mais ... le manuel propose des évaluations finales, c'est à toi de fabriquer les évaluations intermédiaires, je t'en ai déjà parlé ... Comment tu sais que tu peux continuer si tu n'as pas vérifié l'acquisition des éléments petit à petit? Le manuel du prof n'est pas une Bible, tu sais!"
    - "Ah? Mais c'est du boulot, dis donc..."

    PUTAIN, OUI ... PROF, C'EST DU BOULOT ! 

    *  *  *

    Le 20 novembre, j'entame une discussion avec lui, alertée par un collègue. Nous sommes à la veille de boucler les bulletins pour les conseils de classe du 1er trimestre et Isidore a envoyé un courriel très bizarre à mon collègue, un truc du genre : "Les bulletins? C'est quoi? C'est où? Faut faire quoi?". Par retour de courriel, mon collègue lui explique pas à pas comment on accède aux bulletins sur le logiciel ProNotes et comment on les remplit. Je commence donc par là, prête à montrer à Isidore comment ça fonctionne, et décidée à lui dire enfin clairement et fermement trois ou quatre vérités, de manière aussi structurée et constructive que possible. Il faut savoir que la semaine précédente, il ne s'est pas présenté aux observations de cours que je lui avais planifiées, et ne s'en est que faiblement excusé auprès de mes collègues d'anglais. Raison invoquée? "Je n'ai pas lu ton mail jusqu'au bout." Le monsieur m'irrite fortement - aucune évolution depuis l'article ci-dessus, tout est du boulot, trop de boulot, des excuses bidon, j'ai vu le classeur d'anglais d'un de ses élèves de 5è, il y a cinq feuilles ... cinq ...
    Irritée, je fais l'erreur de commencer par une boutade :"Bon, tu sais ce qu'est un bulletin, oui?". Il se met à hurler, m'affirmant que "Non, je ne sais pas ce qu'est un bulletin, je suis débutant moi, je ne peux pas tout savoir!"

    - "Euh, Isidore, tu as été élève! Tout le monde sait ce qu'est un bulletin!"
    - "J'étais élève il y a longtemps, non je ne sais pas! Je ne me souviens pas! Je suis pas obligé de me souvenir de tout!"
    J'hallucine! Pris en faute par son absence totale de curiosité sur les processus administratifs qui ponctuent une année scolaire (et alors que nous recevons régulièrement des infos et des rappels par courrier électronique - sans parler de l'affichage multiple en salle des profs), il préfère s'enferrer dans un mensonge stupide et ridicule en prétendant ne pas savoir ce qu'est un bulletin ... en me hurlant dessus.

    C'est là que mes doutes sur son profil psychologique ont définitivement pris forme.

    Et ça a duré 10 minutes, où j'ai tenté de lui dire aussi fermement que possible ce que j'essayais de lui dire gentiment depuis deux mois : Oui, prof c'est du boulot, c'est pas juste faire un copié-collé du livre du professeur. Oui, on a besoin de recourir aux punitions pour affirmer son autorité... Mais je ne peux jamais finir une phrase, Isidore est rouge, congestionné, et me coupe sans cesse la parole pour me cracher des arguments sans queue ni tête, se plaindre que personne ne comprend sa situation ...
    - "Je suis débutant! Personne ne veut comprendre ça! Je débute, je sais pas tout!"
    - "Tout à fait, et nous le savons, mais n'en fais pas ton argument principal et systématique, ça t'empêche d'avancer et tu ne seras pas débutant éternellement, faudrait juste que..."
    - "M'enfin, vous vous rendez pas compte! Je dois préparer les oraux du concours, c'est du boulot, tout ça!"
    - "Écoute, arrête avec ça, nous sommes tous passés par là lors de notre année de stage : nous n'avions pas les oraux du concours, mais nous avions des cours à l'IUFM toutes les semaines, un mémoire à préparer, des stages dans d'autres établissements ..."
    - "Non, c'est pas pareil! Moi, si j'ai pas le concours, c'est le chômage! Hein!! Le chômage!!"
    - "Mais si c'est pareil! Nous, si nous n'étions pas titularisés en fin de stage, c'était la panique aussi, qu'est-ce que tu crois! La pression était la même! Et on faisait quand même ...."

    Il s'en prend soudain à des collègues, remettant en cause leur efficacité de prof principal, leur capacité à communiquer, leur sens de la solidarité. Je lui rappelle alors qu'il ne sollicite jamais personne!
    - "Oui, c'est vrai, je reconnais, je déteste quémander."
    - "Mais qui parle de quémander!? Je te parle de s'intéresser au métier! De montrer de la curiosité! De ..."

    Dans ce "dialogue" de fou, le ton est largement monté, mais si je parle fort, ce n'est pas par colère, c'est pour me faire entendre. Par six fois, je le supplie de me laisser parler, finir mes phrases. Mais il nie chacune de mes interventions : "Non, je n'ai jamais dit ça.", "Non, c'est faux, tu interprètes.", "Non, ce n'est pas la réalité", "Non, tu as mal compris." ... Soudain il se lève, furieux et vient vers moi en crachant : "Ça suffit! Nous sommes entre adultes et entre pairs, hein! Ne me parle pas comme à un élève! Je ne suis pas ton élève!". Ach, j'essaie de lui expliquer alors que ... hum ... ben si un peu quand même ... Mais il n'écoute pas. Je décide enfin de couper court, lui souhaite une bonne journée, et file dans le bureau de la Cheffe : "Madame, je pense que ma mission de tutrice auprès d'Isidore vient de prendre fin."

     

    *  *  *

    Le 20 novembre, donc, je démissionne officieusement. Nous devons attendre d'en avoir informé l'inspection et que celle-ci trouve une solution avant que mon rôle prenne fin officiellement.

    Mais le 22 novembre, Isidore fait une crise similaire ... en classe, et s'en prend physiquement à des élèves. Précisément, il en saisit deux violemment par le bras, fait mine d'en claquer un troisième, et crée une telle panique que des élèves s'enfuient en hurlant et en pleurant.

    ...

    La Cheffe lui signifie qu'il est coupable de plusieurs fautes professionnelles, lui ordonne de contacter et rencontrer au plus vite les parents des élèves bousculés, organise une intervention dans la classe, choquée, pour le cours suivant (lundi). Elle passe la journée à recevoir les parents, recueillir les témoignages des élèves, contacter l'inspection.

    Moi, ça tombe bien, je pars en Alsace pour le weekend - je vais pouvoir prendre l'air et réfléchir à tout ça de loin. Je croise tout de même Isidore avant de partir, lui demande comment il va, et ébahie par sa réponse ("Ça va! Bon, j'ai un petit souci de discipline à régler, là, mais ça va."), ne peux m'empêcher de le contredire : "Non, Isidore, ça ne va pas, tu ne peux pas dire que tu vas bien" et je lui propose de m'appeler après le weekend s'il éprouve le besoin de parler. Il semble touché par cette proposition, il a les larmes aux yeux, quand déboule la gestionnaire qui lui signifie fermement son ras-le-bol concernant l'état des salles de cours après son passage : sol jonché de détritus divers, tables salies ... Et Isidore de répondre clairement : "Je suis débutant, j'ai des soucis de discipline autrement plus sérieux." ... !!! ... Il s'entend répondre : "Mais ça aussi, c'est de la discipline." Isidore, c'est manifeste, s'en fiche totalement. "Je suis débutant.", répète t-il.

    Le lundi, je discute longuement avec la Cheffe et à l'issue de cette conversation je décide de reprendre le job de tutrice.

    Pourquoi?

    En premier lieu, j'ai expliqué à la Cheffe qu'au vu des circonstances, Isidore allait peut-être m'écouter désormais.

    Ensuite, je me dis que, sans faire partie du problème, je peux participer à sa solution collective. Nous sommes une équipe face un gros souci ... et puis il y a des élèves à préserver autant que possible.

    Mais en fin de journée, je comprends soudain ce qui m'a motivée.

    Isidore est sur-diplômé et je soupçonne que le juridique n'a aucun secret pour lui. Isidore présente un profil psychologique défaillant - je ne suis pas psy, je suis incapable de mettre un mot savant et approprié sur son problème ... En tout cas, il manque de lucidité quand il assène ses excuses improbables, et je l'ai vu perdre les pédales. Je crois bien que je me protège d'un possible coup fourré en reprenant mon rôle.

    Nous fixons une réunion pour le mercredi : la Cheffe, l'Adjoint, Isidore et moi. À l'issue de cette rencontre, je suis toujours autant désarçonnée par le bonhomme, qui vient seulement de comprendre qu'il est un apprenant (un élève-prof, quoi) : "Je ne me voyais pas du tout comme ça." nous avoue t-il candidement (et je me mords la langue pour ne pas envenimer la situation en lui disant : "Pourtant tu ne cesses de clamer que tu es débutant! Qu'est-ce qu'un débutant, sinon un apprenant?"). Tout aussi candidement, il explique à la Cheffe qu'il n'a pas contacté les parents du deuxième élève "parce que ça [lui] était sorti de l'esprit" ... Je n'en reviens pas, il a frisé le dépôt de plainte ... cet homme est malade ... Il est sincèrement étonné quand on l'informe que j'avais rendu mon tablier le mercredi précédent, ne voyant pas bien en quoi notre petite dispute pouvait motiver ma décision. Il note consciencieusement sur son bloc-notes tous les conseils que lui prodigue la Cheffe, et hoche vigoureusement la tête à chaque exigence qu'elle liste et auxquelles il devra désormais se conformer, parmi lesquelles "écouter Miss Lulette" ... Il ne saisit pas du tout la gravité de la situation quand on lui annonce la venue d'un chargé de mission de l'inspection - c'est la deuxième fois en deux mois que l'inspection se déplace pour lui (en temps normal, pour les stagiaires lauréats, il n'y a qu'une seule visite dans l'année, généralement vers janvier-février, et aucune visite n'était prévue pour les contractuels-stagiaires cette année ...) ! Je ne suis pas contente quand je comprends qu'il n'a pas présenté d'excuses aux élèves ; il a reconnu, devant la classe, en présence de la Cheffe, de l'Adjoint et de la CPE, qu'il avait débordé, mais n'a pas clairement prononcé d'excuses.
    Je suis juste vaguement rassurée quand il craque et pleure. Bon, il n'est pas complètement à côté de la plaque, me dis-je ...

     

     

    *  *  *

    Entre cet entretien et les vacances de Noël, le chargé de mission vient, constate la même chose que l'inspecteur en octobre et prodigue peu ou prou les mêmes conseils. Tous les deux convenons d'un "protocole" : Isidore doit me fournir chaque lundi un récapitulatif des cours qu'il va mener dans la semaine, simple mais bien cadré et séquencé.
    De mon côté, je prends la précaution de désormais mettre la Cheffe et l'Adjoint en copie à chaque courriel que j'envoie à Isidore.
    Je consacre tout un vendredi après-midi à lui montrer concrètement comment on prépare un cours, combien il est utile, pratique, voire super confortable de créer des supports, des leçons. Je mime ce qu'il pourrait faire ou dire à telle ou telle étape. Nous élaborons le brouillon de deux supports. Il est attentif et semble y voir plus clair.

    Je lui sauve la mise le jour où, sortant d'un conseil de classe, je ne le vois pas parmi les profs attendant le conseil suivant, celui d'une de ses classes. Je n'ai pas mon portable, alors je l'appelle une fois arrivée chez moi. Il me soutient qu'il pensait que le conseil avait lieu à 19h et qu'il a dû s'emmêler entre l'heure d'hiver et l'heure d'été!!! (nous sommes début décembre!). Je ne comprends rien à cette énième excuse ridicule et l'invite à filer au plus vite, un retard faisant moins mauvaise impression qu'une absence.

    Il vient m'observer en classe, et se montre un peu plus curieux qu'auparavant.

    Au cours de ces moments passés ensemble, certains propos me désarçonnent encore. J'apprends qu'il n'a exercé son précédent métier que deux ans à peine. Et avant? Il se ferme, marmonnant qu'il a fait des trucs, des petits boulots. (Isidore a la quarantaine, comme moi). Il se décrit comme une vraie bête de concours, et je le crois volontiers, au vu des diplômes qu'il détient (je ne veux pas préciser, mais c'est de la haute voltige). Il sait qu'il est lent et laborieux, on le lui reprochait déjà avant. Il me confie sans sourciller qu'en effet, il a un problème à se faire respecter, même dans la vie de tous les jours. Il est trop gentil, pense t-il. (Moi, je me mords encore la langue, je brûle de lui dire que ses excuses bidon ressemblent tellement à du foutage de gueule qu'il est difficile de lui porter beaucoup d'estime ...). Je saisis cette occasion pour lui dire que, justement, il faudrait qu'il arrête de tenir certains propos aux élèves, tel que : "Moi, je m'en fous que vous ne me respectiez pas, je suis payé, mais respectez vos camarades." Il admet qu'il n'a pas beaucoup d'amour-propre, de "self-respect".

    Tout ceci ne lasse pas de m'inquiéter, mais je mets en sourdine car par ailleurs Isidore évolue bien. J'assiste aux deux cours que nous avions préparés ensemble, et c'est une réussite! Il a fait du théâtre et ses mimes réjouissent les élèves, l'interactivité s'accélère, le cours a un bon rythme. Les supports et les leçons distribués rassurent les enfants, qui ont enfin un "cadre", des documents concrets sur lesquels s'appuyer. Il prend des initiatives et crée désormais tout seul ses docs, dont un que j'applaudis en lui disant que je vais le lui piquer.
    Il admet que les conseils que je lui donne rendent les choses un peu plus confortables, mais ne peut s'empêcher d'ajouter que ... "c'est du boulot" ... Nous avons convenu que jusqu'aux vacances, il m'enverrait ses descriptifs de cours non par paquets de trois (comme nous l'avions décidé avec le chargé de mission) car je sais qu'il n'y arrivera pas, mais au coup par coup, et je l'invite à profiter des congés pour prendre une semaine d'avance afin qu'à la rentrée de janvier nous passions à l'étape suivante (toujours préparer trois cours d'avance).

    Je pars en vacances un tout petit peu rassurée, un peu plus confiante.

     

     

    *  *  *

     

    La veille de la reprise de janvier, je reçois le descriptif de 2, et non pas 3, cours. Il n'a pas réussi à s'avancer davantage. Nous nous rencontrons brièvement le mercredi et je lui expose le "planning" que j'ai prévu, à savoir que je le laisse "tranquille" durant environ 3 semaines (pas de visites dans mes classes, pas d'observation de mes cours), car je tiens en revanche à ce qu'il prenne le pli de préparer 3 cours à chaque fois. Je sens que ... hum ... ça va être dur, mais j'ai bon espoir, compte-tenu de l'évolution récente.

    Le lundi suivant (le lendemain de mon article "bisounours"), je n'ai rien reçu. Il dit n'avoir pas réussi à travailler durant le weekend et qu'il vient de faire une nuit blanche pour préparer les cours du jour. Je le rassure, il m'est arrivé la même chose ce weekend, qu'il fasse une sieste cette aprem et reprenne le collier ensuite. Mardi, rien dans ma boîte, et je ne le croise pas mercredi. Je me suis mise en mode "off" : attendre et voir. Ça ne me dit rien de bon, bien sûr ... j'ai un petit peu envie de le secouer mais préservons le positif acquis récemment.

    Jeudi matin, la Cheffe m'annonce qu'il lui a présenté sa démission et cessera ses fonctions le 24 janvier.

    Je médite longuement : son remplacement m'inquiète (notre système est défaillant, la pénurie une douloureuse réalité), je m'interroge sur ses raisons, étonnée tout de même au regard des progrès avant Noël, et sur son avenir - peut-être a t-il trouvé un job?

    Je me sens un peu désolée pour lui tout en trouvant que cet éclair de lucidité est peut-être bénéfique pour tout le monde ; la Cheffe a juste eu le temps de me dire que c'est mieux ainsi, compte-tenu des retours, nombreux et négatifs, qu'elle continuait de recevoir (je ne savais pas).

    Et hier matin, j'arrive pimpante et heureuse de mes derniers clichés pris sur la route. Isidore m'annonce donc sa démission et m'explique qu'il n'y arrive pas, qu'il ne parvient pas à gérer son temps et son énergie pour tout ça, qu'il ne peut pas préparer les oraux du concours dans ces conditions.
    - "Parce que tu présentes quand même le concours????"

    Je suis FURAX.

    Je découvre que l'Éducation Nationale, en mettant en place ce recrutement exceptionnel (cette année seulement) qui consiste à ouvrir le concours à tout titulaire d'un master, quel qu'il soit (Isidore n'a jamais fait d'études d'anglais) et à laisser s'écouler 12 mois entre les écrits (auxquels Isidore a donc été reçu) et les oraux, période au cours de laquelle le "stagiaire-contractuel" apprend le métier en prenant en charge au minimum deux classes, guidé par un tuteur pédagogique (bibi, en l'occurrence) .... je découvre donc que le ministère n'a pas pris la précaution de soumettre la passation du concours aux conditions d'exercer en classe durant toute l'année. Isidore le contractuel peut démissionner, laisser trois classes sur le carreau, et Isidore le "stagiaire" peut présenter les oraux!

    Je suis DÉGOÛTÉE.

    - "Mais je ne comprends pas ... Ce n'est pas la nuit blanche qui t'a fait prendre cette décision, tout de même?"
    - "Non, c'est juste la goutte d'eau qui fait déborder le vase, je ne m'en suis pas encore remis d'ailleurs. Je ne m'en sortirai pas."
    - "Mais tu laisses trois classes sur le carreau, tu faisais des progrès ..."
    - "Je ne laisse personne sur le carreau, y'aura un remplaçant!"
    - "À ton avis, pourquoi ton statut existe t-il cette année? Parce qu'on a besoin de recruter! Y'a pas de remplaçant, c'est pas sûr du tout qu'on trouve quelqu'un!"
    - "De toute façon, hein, les élèves, et même des parents, me disent que mes cours sont mauvais. Ce ne sera que mieux avec quelqu'un d'autre!"
    - "Tu crois vraiment qu'une personne recrutée à l'arrache à Pôle Emploi va faire mieux*!!? Écoute, là, tout de suite, je suis choquée, je ne comprends pas ..."

    Et je suis partie prendre mes élèves.

     

    Dans la foulée, j'apprenais qu'un cas de gale était déclaré au collège.

     

    Irritations ... Irritations ...

     

     

     

    * Sans vouloir préjuger des qualités de ceux qui pointent à Pôle Emploi, évidemment. On pourrait tout à fait y recruter un étudiant en Anglais, par exemple, ou une personne avec de bonnes connaissances qui pourrait se découvrir des talents d'enseignant!

     

     

    18 janvier 2014 | Quitter l'enseignement ? | Commenter


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  • Commentaires

    1
    Samedi 18 Janvier 2014 à 18:30

    Incroyable !!!

    je transmets à ma fille de 42 ans qui a le même statut (mais pas le même comportement) que ton Isidore, mais dans une autre langue.

    2
    Samedi 18 Janvier 2014 à 18:45

    Oh, alors le hasard fait bien les choses! Je suis curieuse de connaître la réaction de ta fille, ou d'avoir des infos plus précises sur ce statut exceptionnel - si bien sûr elle en a envie :)

    3
    Samedi 18 Janvier 2014 à 21:25

    Moi l'Isidore comment que je lui aurait mis la tête entre les deux oreilles ! NA ! (on dit ça en grec aussi) et on l'accompagne de "branleur".

    Cette patience que tu as : REMARQUABLE (et je ne parle de pas de ta sensibilité, de ta pédagogie, de ton courage !). 

    Sainte Lulette priez pour nous  Mais s'il te plaît, ne deviens pas martyr !

    4
    Samedi 18 Janvier 2014 à 21:55

    L'envie de lui mettre la tête au carré m'a démangé plus d'une fois, tu sais!

    Je ne sais pas ... c'est comme avec les élèves, en fait ... il peut se produire une étincelle! Qu'est-ce qui me permettrait de juger définitivement? (cela dit, aujourd'hui, je dis, affirme et maintiens que ce gars n'est pas fait pour l'enseignement, qu'il pense avoir trouvé la bonne "niche" ...)

    Martyr, jamais de la vie! On s'inquiète dans mon entourage que je prenne la chose trop personnellement, y compris la Cheffe, mais ça me fait juste gamberger pareil que l'affaire Dieudonné ou Total investissant dans les gaz de schiste en Grande-Bretagne : ça m'inquiète, me révolte, mais je réfléchis, pondère ... et vis ma vie! En revanche, si jamais ils osent me verser ma prime de tutrice au prorata du temps consacré au monsieur, je tape un scandale!

    5
    fee des agrumes
    Dimanche 19 Janvier 2014 à 00:45
    Et benmerdalors...Quand je pense qu'ils ne veulent pas de moi...
    6
    filledelafourmi
    Dimanche 19 Janvier 2014 à 07:49

    Eh oui, réussir les écrits du CAPES ne garantit pas que nous sommes responsables, respectueux de la déontologie ni même conscients des enjeux de la lourde tâche qui nous attend. Le recrutement de CAD a été très risqué car, après les résultats des écrits, tout s'est fait informatiquement. Nous n'avons pas eu à écrire de lettre de motivation, pas un entretien ou un petit coup de fil, rien.

    Heureusement, dans ma matière les "cas" les plus inquiétants n'ont pas été admis, car le concours était plus difficile que les autres années.

    C'était la première et dernière fois, et bravo Lulette d'avoir aussi bien géré cette situation, surtout quand on connait le montant de cette fameuse indemnité. Nous ne pouvons qu'espérer que l'année prochaine la nouvelle formule sera plus fiable.

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    7
    Dimanche 19 Janvier 2014 à 11:03

    Je ne vois rien d'anormal dans ta situation, et je dirais même que j'y trouve un vrai goût de déjà vu (et pourtant je ne travaille pas dans l'enseignement). Je ne suis ni surpris, ni déçu, juste écœuré de voir encore une fois une décision imbécile prise à haut niveau par les plus intelligents d'entre nous (les responsables, les hauts fonctionnaires, les chargés de...), exploitée au mieux par quelques égoïstes opportunistes.
    Je te vois venir : "Et les élèves, les enseignants (et autres professionnels) qui ont la foi, ils deviennent quoi ?" Mais on s'en contre-fout.
    Tu vis sur une autre planète ou quoi, Lulette ? Tu n'est pas au courant des vrais problèmes graves ! Le Président aurait une liaison qui ne serait même pas extra-conjugale !!! La Première Dame est au repos dans une clinique !!! Reviens parmi nous Lulette, laisse tes élèves et ton Isidore, achète Closer comme tout le monde et reprends pied dans la vraie vie... Il y va de ton salut éternel !

    8
    Dimanche 19 Janvier 2014 à 22:48

    @ fée : je sais, je pense souvent à toi depuis 4 mois ...  :(

    9
    Dimanche 19 Janvier 2014 à 23:02

    @ filledelafourmi

    Déjà, merci d'avoir bien voulu commenter  :)

    Le CAPES dans ses conditions habituelles, et généralement ouvert à des étudiants de la discipline, ne préserve pas non plus des dérapages. Si je me souviens bien, la "major" de ma "promotion" s'est fait recaler à 'issue du stage, et il serait bon de vraiment repenser les concours aussi.
    En tout cas, je n'ai jamais rien signé, pour autant que je me souvienne! Mais le "processus" sécurise un peu mieux malgré tout.

    J'ai trouvé l'idée chouette d'ouvrir le concours à d'autres personnes désireuses de se rediriger, la mobilité professionnelle en France est paralysée et je trouve dommage que "on" pense qu'on et fait pour un seul métier. Alors l'idée était chouette, mais disons que c'est une énième constatation d'un système qui ne va pas bien et où on se retrouve à mettre des pansements sur des jambes de bois, sans réfléchir UNE minute à "sécuriser" un peu le truc ...

    Bref

    Je suis consciente que le cas d'Isidore est tout particulier - loin de moi l'idée de généraliser - pas d'bol! Mais il a le mérite de montrer les failles (béantes) et les limites (au bord de l'implosion) de l'indigeste mille-feuilles des réformes empilées depuis 20 ans que j'enseigne ... Je dis bien "empilées" ...

    Je ne sais pas si j'ai bien géré! J'ai peut-être été trop patiente ...

    Oui, attendons de voir la nouvelle formule

    Cela dit, bravo à toi, car je reconnais sans peine un contexte compliqué - je ne sais pas ce qui t'a motivée, ce que tu faisais avant, mais une reconversion à 40 ans, ben faut le faire quand même! Fingers crossed  :)

    10
    Dimanche 19 Janvier 2014 à 23:21

    @ sparfell : je dois aller manger et dormir, je reviens te répondre à l'heure où blanchit la campagne :)

    11
    Lundi 20 Janvier 2014 à 08:19

    Arrivé à la licence ,je me suis auto-éjecté .Pas du tout motivé pour l'enseignement (et paradoxalement ,dans mon métier ,on me verrait bien comme moniteur ).En ce qui concerne Isidore ,je partage l'avis de Sparfell ,ayant eu l'occasion de rencontrer quelques spécimen et c'est pas triste ...

    12
    Lundi 20 Janvier 2014 à 09:38

    @ Sparfell 7 : dès le début, j'ai senti que c'était un gars qui pensait avoir trouvé une niche, croyant que "prof" c'était trop facile (tu copies-colles le manuel du prof, et pi l'anglais c'est rigolo donc pas de problèmes de discipline), il a même prétendu, le jour de la pré-rentrée, ne pas avoir besoin de tuteur ... Mais je pensais que, rattrapé par la réalité, il réviserait son jugement et ferait ce qu'il faut pour, au moins, sauver sa peau.
    Mais je ne pouvais pas savoir tout de suite qu'en plus, le monsieur n'allait pas très bien dans sa tête!

    Alors sans vivre dans le monde des Bisounours, je suis tout de même colère, exactement pour ce que tu dis : un système défaillant "soigné" par des têtes pensantes déconnectées qui ne savent que poursuivre des chiffres, exploité par quelques pourris ... Toi et moi intervenons suffisamment chez Skye, par exemple,pour savoir que c'est à tous les niveaux que ça se passe ... pfff ...

    Mais c'est pas Closer qui soignera mon soleil dans la tête!

    13
    Lundi 20 Janvier 2014 à 09:45

    @ missing boy : ça ne me paraît pas paradoxal ; ne pas avoir envie d'enseigner dans l'Education Nationale ne signifie pas que tu n'as pas les compétences pour transmettre et former d'autres personnes à ton métier, ou pour encadrer des jeunes ou des moins jeunes dans une activité ...

    Une licence de quoi? D'anglais?

    14
    Lundi 20 Janvier 2014 à 10:14

    @lulette :Lettres et civilisations étrangères ,et principalement civulisation anglo-saxonne (histoire ,littérature ).J'ai eu le Deug mais je me suis fatigué à la licence ,j'avais la tête farcie et de moins en moins motivé .L'idée de passer le Capes me déprimait profondément et je suis passé direct dans la vie active .Mon frère est prof d'histoire dans un collège ,il a fait sa thèse (agrégation si je me souviens bien (?) ) ) sous la direction d'Emmanuel Todd:une grosse tête et un bon pédagogue .Motivé et concerné .

    15
    Lundi 20 Janvier 2014 à 21:34

    Où? En région parisienne? Peut-être nous sommes-nous croisés!  :)

    Qui est une grosse tête? Todd ou ton frère?

    16
    Jeudi 23 Janvier 2014 à 17:48

    @Lulette :excuse moi d'avoir tardé à répondre .J'ai fait mes études à Orléans -La Source ,fac de lettres et sciences humaines .La grosse tête ,c'est mon petit frère (je ne connais pas Emmanuel Todd pour dire la vérité :-))  )mais quand je dis "grosse tête" ,c'est affectueux ,la vérité c'est que c'est un gamin talentueux .Car l'histoire n'est pas son unique dada ,ilécrit et joue lui-même ses propres chansons et dès que j'aurai l'occasion ,j'en posterai quelques unes sur mon blog .

    17
    Jeudi 23 Janvier 2014 à 18:16

    Ouais en parlant de ton blog, tiens ... c'est vrai que tu postes pas assez! :)

    18
    Jeudi 23 Janvier 2014 à 19:10

    C'est vrai ,je poste pas beaucoup ...Mais j'ai quelques projets :continuer mes carnets avec photos à l'extérieur (deux sont déjà prêts mais j'ai besoin du beau temps !),je travaille sur ma propre adaptation de "L'homme aux cercles bleus " de Fred Vargas (parce que franchement les adaptations de Jose Dayan ben...Beurk ,voila je l'ai dit )et continuer des portraits de musiciens .Avec mon métier que je pratique de nuit ,c'est pas évident .Mais bon .Je me suis gentiment moqué de toi pour ta proscratination ,mais je suis pas mieux !

    19
    fee des agrumes
    Samedi 25 Janvier 2014 à 17:45
    Petite note: Emmanuel Todd est un très grand démographe. Il est critiqué parce qu'engagé. Pourtant, la démographie ne ment pas et j'aime lire ou entendre ce monsieur.C'est passionnant.
    20
    Mardi 23 Septembre 2014 à 16:53

    Bonjour,

    Waouhhh c'est le seul mot qui me vient à l'esprit en lisant ça. Je savais que le travail de prof était dur mais je pensais pas que les profs étudiants pouvaient être comme ça. Quel self-contrôle de votre part. J'aurais jamais réussi à rester si calme avec un individu pareil :( Vive mon métier de comptable car même s'il y a de la pression, c'est les vacances comparé à votre travail.

    Bonne fin d'après-midi

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