•  

    Autrement dit "Le Bon, la Brute et le Truand" superbe film de Sergio Leone (assez fan du bonhomme et de ses films) - mais je vais plutôt partir sur une traduction plus littérale : ce qui (m') est bon, ce qui (m') est mauvais, et le laid tout moche tout pourri.

    D'ailleurs, on va commencer par là, faut toujours garder le meilleur pour la fin qu'on me dit depuis des décennies (sauf pour les vins dans un repas - je vous en reparlerai).

     

    THE UGLY

    Le "tout pourri tout moche", c'est ce gamin que je vais appeler Jack, dont je suis la prof principale, un ptit bonhomme aux allures lunaires qui n'a pas de filtre au cerveau, et fait ce qu'il veut (des conneries de tout poil) quand il veut (en gros, tout l'temps) mais t'écoute bien quand tu le reprends ou l'engueules, dit "oui oui" (son papa l'appelle comme ça) ou "c'est pas moi" (tous les surveillants l'appellent comme ça).
    Le topo, c'est que ça fait 10 ans qu'il est ingérable en classe quelles que soient les mesures prises, les spécialistes rencontrés par la famille, etc. Il paraît qu'il est EIP (élève intellectuellement précoce).
    Depuis septembre, je l'ai d'abord observé pour voir un peu c'est qui, puis j'ai commencé à le voir à chaque fin d'heure d'Anglais pour qu'on analyse ensemble les derniers mots dans le carnet etc + rencontre hebdomadaire d'une demi-heure.
    Puis j'ai fait une réunion avec le Conseiller Principal d'Éducation et des profs.
    Puis j'ai fait une fiche de suivi assez fine avec obligation pour le Jack de faire lui-même son propre bilan chaque soir avec bilan hebdomadaire lui et moi chaque vendredi.

    Puis j'ai abandonné la fiche de suivi - c'était pire avec que sans.
    Puis j'ai arrêté les rencontres hebdomadaires, et je lui ai expliqué que ça ne m'intéressait plus qu'on discute, que ses excuses et explications n'étaient que des mensonges à répétition, qu'il se tirait sans cesse des balles dans le pied, et que j'avais 26 autres gamins à suivre dans cette classe, que je négligeais par sa faute. À l'heure où je vous parle, le bonhomme approche la centaine de punitions et remarques.

    Sur les dernières semaines où j'ai cessé de l'écouter (bien qu'il continuât de me prendre du temps par ailleurs - échanges de courriels et discussions avec des collègues, notamment), il a commencé à se faire remarquer pour autre chose : des propos à caractère sexuel particulièrement salaces devant une projection d'images de Mandela, l'impossibilité en classe d'utiliser / enseigner des mots comme "chatte", "queue"... des commentaires de tout "poil" à tout propos, toujours axés sur le sexuel ou le pornographique.

    Jusqu'au coup de Trafalgar vendredi dernier : une dizaine de gamines de la classe ont fait état d'insultes (salope, pute, suceuse, honte de YouPorn, schizochienne, connasse, ta gueule...), de propos qu'elles ont vécu comme des menaces (je me tais si tu me suces, je me branle en pensant à toi, je vais te baiser...), de "partage" de connaissances (lors de travaux sur ordi, se débrouille pour trouver des images d'hommes ou de femmes nus avec zoom sur les parties génitales) et d'attouchements déplacés ("il me touche tout le temps les fesses pourtant je lui ai dit que ça me gêne", ceinture des gamines en exigeant des câlins ou en parlant de les baiser, les met au sol et s'allonge sur elles....)
    Dans ses compte-rendus écrits exigés vendredi dernier, Jack rejette la faute sur des copains ou sur des filles (le classique "c'est pas moi") et globalement, nie (en expliquant qu'il sait qu'il peut aller en prison).

    Vendredi soir, j'ai appelé la maman (pour la 10è fois depuis septembre) - j'ai raccroché à 20h30, très remuée. La maman est bien au fait des troubles de son enfant et se bat depuis des mois (après des années à tenter de comprendre auprès de spécialistes) pour trouver des solutions. Le dossier de Jack a été validé par la MDPH (Maison du Handicap) pour un suivi par SESSAD (Services d'éducation et de soins à domicile - ils prennent en charge, par accompagnement en scolarisation ordinaire ou scolarisation en milieu spécialisé) avec éducateur spécialisé, suivi psy et demande d'un AVS (auxiliaire de vie scolaire, adulte accompagnant l'enfant en classe). Mais ça traîne ! L'équipe éducative qui génèrera la demande officielle d'un AVS en "urgence" n'aura lieu que début Mars ! Et la directrice du SESSAD m'a dit aujourd'hui qu'il ne fallait pas espérer un AVS avant septembre.... (ah oui, parce que j'ai passé mon lundi, habituellement libre, au collège, pour rencontrer les parents et discuter avec tout le monde des suites et tout et tout).

    Inutile de vous dire que cette affaire me pourrit régulièrement depuis octobre, et particulièrement le weekend dernier. J'ai maintenant une dizaine de gamines à suivre de près, plus ou moins traumatisées, et toujours mes petits dyslexiques, dysgraphiques et autres dys-, magnifiquement courageux dans l'ambiance infecte que Jack crée à chaque heure, mais désormais un peu désespérés que ce zigoto sorte de leur horizon. Et puis tous les autres, deux EIP de 10 ans adorables, des petits fainéants à stimuler, toussa :)

    Si si, il est régulièrement sanctionné (deux exclusions temporaires du collège, des heures de colle longues comme mon bras, des TIG - travaux d'intérêt général, un ou deux avertissements officiels...) mais il sait y faire et s'est mis plus ou moins le Principal dans la poche, lequel ne cesse de sous-entendre que nous ne savons pas y faire ou faisons mal... Alors les entrevues avec le Chef, sans que je reste langue de bois, me pourrissent un peu aussi.

     

    THE BAD

    Je ne me défais pas de cette tendance à accumuler les copies. De fait, la semaine dernière, me suis retrouvée à corriger une bonne dizaine de paquets en prévision de la réunion parents-profs de jeudi (où j'ai été la dernière à quitter le collège vers 21h15, après 5 heures de rencontres), et ça me met colère d'être comme ça !

    Je commence à lier mes migraines à une fatigue chronique que j'ai décidé d'attribuer au tabac - je fume depuis 34 ans ! Ça fatigue son homme, ça ! J'ai vu un tabacologue qui ne me plaît pas (en gros, la dépendance psychologique sera réglée par du Champix, 'tain, il sait pas à qui il parle ! Les médocs et moi, ça fait DEUX, et du Champix en plus ??). Du coup, je chemine/rumine dans mon coin, le livre d'Allen Carr à portée de la main.

    Mais bon, je passe trop de temps devant l'ordi et j'estime que ça fatigue aussi.

    Pi je bois des ptits apéros et/ou du vin tous les soirs ; ça fatigue aussi :)

    Bref, si j'avais repéré tout le BAD qui est en moi depuis de longues lurettes sans rien faire, j'ai envie de lui régler son compte depuis peu. GOOD, no ?

     

    THE GOOD

    aaah

    Le banquier a accepté de renégocier à la baisse mon prêt immobilier, je vais respirer d'environ 45 euros de plus par mois !

    Du coup, je me suis enfin offert mes Kickers rouges que je bave dessus depuis un moment ; reçues ce matin, aux pieds tandis que je vous écris, trop contente !

    Il fait beau et juste frais, ça fait du bien, le printemps arrive, les jours rallongent.

    Il paraît que demain il neige !

    Les classes de 3è sont en stage cette semaine, je suis libre tout jeudi et vendredi aprem !

    Et comme c'est les vacances vendredi ...

     

     

     2 février 2015 | Quitter l'enseignement ? | CommenterRetour aux articles récents


    25 commentaires
  • C'est bien à l'école, notamment au collège et au lycée, lieux d'éclosion des adolescents, de l'affirmation d'une identité - ou d'un renoncement, que la violence peut naître.

     

    Si certains milieux familiaux sont propices à l'incompréhension de l'autre et de la communauté humaine, le collège, dans ses mimiques balbutiantes de vie en société, avec ses codes quasi-tribaux internes aux ados, la pression des règles de l'établissement, les exigences des adultes, la contradiction interne entre l'impérieux besoin d'appartenir à un groupe et l'impérieuse nécessité de revendiquer ses différences, sans toutefois être bien sûr(e) de la "légitimité" sociale de ces différences ... bref ! le collège, disais-je, peut faire péter les plombs à plus d'un, ici un prof, là un(e) élève. Nul besoin d'ajouter que le développement des réseaux sociaux et des téléphones portables a eu un sacré effet loupe pour certains, façon "je chope la lumière pour allumer le feu" ...

    La chanson ci-dessous date de 2008, je crois, et est signée par une collègue prof d'anglais comme moi. En voici le texte, où j'ai reconnu plusieurs élèves que nous avons eus toutes les deux, ou d'autres dont nous entendions parler, et qui fait aussi allusion à un gamin qui m'avait fait froid dans le dos en 5è il y a bien longtemps, en m'affirmant que plus tard, il voulait devenir militaire pour pouvoir tuer des gens. Il y a deux mois, ce gamin, devenu un adulte aux joues qui piquent, détendu et farceur, est revenu voir quelques anciens profs, dont moi - un choc et un soulagement :) Qu'est-ce qui avait changé le bonhomme depuis ? Ce fut quand les services sociaux accédèrent à sa propre demande d'être séparé de sa mère et de son beau-père et remis à son papa 20 km plus loin...

    Des élèves qui nous prennent par surprise un matin, une après-midi, au sortir d'une petite discussion, où soudain les larmes nous montent aux yeux, où notre cœur fait des ratés, où tout à coup les tracasseries administratives, les réformes vaniteuses et vides de sens, les injonctions ministérielles, l'exaspération face au manque d'ambition global de nos classes, le chefaillon du moment, n'ont plus ni importance ni force de loi.

    Le texte est un beau condensé de plusieurs "cas" que nous rencontrons chaque année. Depuis son écriture, la phobie scolaire est entrée dans les mœurs et l'on nous sollicite de plus en plus souvent pour aller donner des cours à des élèves chez eux... Cette année, j'ai encore mon "lot" de gamins malmenés, fracassés par leur famille, leurs camarades, leurs difficultés scolaires : la petite M. pour qui j'ai dû aller faire une déposition en gendarmerie ; le petit G. qui plane à 17 ou 18 de moyenne générale, souvent moqué par ses camarades à cause de son vocabulaire choisi et de ses centres d'intérêt, secoué de sanglots paniqués irrépressibles quand je lui ai mis une colle pour travail non fait ; le petit J., en grande difficulté mais vaillant petit soldat en classe, imperméable aux conneries de certains, grand sourire - et grosses larmes en réunion parents-profs tant il se sent amoindri, "pas comme les autres" ; L. qui passe des plombes à réparer son classeur, son stylo ou sa trousse, sort toujours en dernier de la classe pourtant sans avoir noté les devoirs, et commence à être complètement perdu, et dont on soupçonne en fait qu'il pourrait bien s'agir d'un EIP (élève intellectuellement précoce) totalement paumé dans notre système ...

    Bref

     

    Depuis tout petit, c'est dans ma nature
    D'être gentil ; si d'aventure
    Il y a du danger, je sais qu'il faut fuir
    Faut dire que ça dure,
    La boule dans le ventre
    Du réveil au portail, faut que je rentre
    Les yeux baissés
    Pour pas qu'ça leur chante de m'embêter
    Jusque dans les couloirs où je traîne,
    Que je hante pour éviter la récré

    Depuis tout petit, c'est dans ma famille
    On fait qu'à se traiter
    À partir en vrille
    Depuis tout petit, c'est dans mon futur
    Aussi sûr que c'est écrit dans les toilettes des filles
    Dans les toilettes des filles
    Dans les toilettes des filles
    Pas d'embuscade, de bousculade
    Dans les toilettes des filles

         Moi mes amis d'ailleurs, c'est plutôt des filles
         Laétitia, Mélanie, elles me trouvent marrant
         Elles me rhabillent, touchent mes cheveux
         Me parlent d'autres mecs, captifs
         ???
         ???
         T'as beau y réfléchir sous tous les angles, au problème
         Le stratagème, les bons mots, le stratagème, y'en n'a pas, y'en n'a pas

    C'est la faute à personne, c'est bien toi qui est pédé, pas un homme
    C'est la faute à personne, c'est bien toi qui est pédé, pas fini, pas un homme

    Parfois je rêve d'avoir un uniforme, avancer bien droit,
    Devenir, devenir, devenir para !

    Parfois j'en rêve (crève ?) d'avoir seulement le droit, le droit d'être moi
    Et je rêve de tirer juste une fois dans le tas !

     

    Delphine G-B

     

    Patienter, la chanson commence après 15 secondes

    Para from The Fish Eyes on Myspace.

     

    En transformant dans sa tête la boîte à rythme en de bonnes percussions, je trouve le morceau brillant - pas de schéma habituel couplet-refrain, mais un texte qui épouse la musique, ou inversement :)

     

    Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...

    20 décembre 2014 | Quitter l'enseignement ? | Commenter (3)Retour aux articles récents


    5 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique