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    Parce que souvent d'autres le disent mieux que moi, je partage avec vous des extraits du dossier "PROF, un métier menacé" paru dans Télérama n°3320, du 31/08 au 06/09/2013.

     

    "Privilégiés", qu'ils disent ...

    Toujours absents, toujours en vacances, assurés de leur emploi de fonctionnaires et d'un bon salaire ... prof, entend-on souvent, c'est une sinécure! Certes les enseignants ont la même durée de vacances que leurs élèves. Mais la Cour des comptes rappelle qu'ils sont payés 35% de moins que les autres cadres de la fonction publique de même niveau. Avec des inégalités entre les catégories, qui se creusent au fil de la carrière : un instituteur gagne 1800 euros net mensuels en début de carrière (comme un prof du secondaire), mais son salaire plafonne à 2400 au bout de trente ans, alors qu'un agrégé atteindra 4800 euros.
    L'enquête "Regards sur l'éducation 2013" publiée par l'OCDE révèle que les enseignants français sont parmi les plus mal payés en Europe.

    Même discours sur le temps de travail, réputé très avantageux. Mais aux heures de classe - 25h30 dans le primaire, entre 15 et 18 heures dans le secondaire -, il faut ajouter le temps passé à préparer les cours, corriger les copies, se documenter, rencontrer les parents et remplir les tâches nouvelles - aide à l'orientation, recherche de stages pour les collégiens, tenue par les instituteurs et certains profs de collège des livrets de compétences ...
    Une étude du ministère vient de confirmer cette hausse de la charge du travail : 44 heures dans la primaire, 41 heures dans le secondaire (contre 39 heures en 2002).

     

    Blues général

    D'après une enquête publiée en 2010 [un an avant l'immolation par le feu d'une enseignante à Béziers] le blues serait général : près d'un enseignant sur deux déclare en avoir assez de l'Éducation Nationale, un sur trois veut la quitter et 16% sont "incertains". L'épuisement professionnel ou "burn-out" n'épargne pas les profs, surtout les jeunes - un mal-être trop peu pris en charge, l'Éducation Nationale ne comptant  que 70 médecins de prévention pour plus d'un million de salariés.
    Le rapport de la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin présenté au Sénat en juin 2012, dissèque les causes de ce qu'elle appelle "la souffrance ordinaire des enseignants", liée à "une déstabilisation structurelle et collective du métier". La sénatrice accuse l'institution d'avoir "brouillé le sens de l'école", à travers "la multiplication d'expérimentations et de dispositifs" qui ont abouti à affaiblir "l'idée même d'une éducation nationale garantie à tous. Entrés dans le métier pour transmettre des savoirs, portés par une éthique humaniste, ils se retrouvent dans une machine à sélectionner les élèves, confrontés à la demande utilitariste de la société, des parents".

     

    Se réapproprier sa puissance d'agir ...

    ... quitte à prendre des distances avec les injonctions extérieures qui cherchent à remodeler, voire formater le travail enseignant. "[...] Les profs sont les experts de leur métier. [...] C'est le métier qui est malade, pas eux! Le temps de la réflexion collective leur manque cruellement, car ils sont isolés et mis en concurrence par les nouvelles techniques managériales, pris dans le tourbillon des réunions, de la paperasse, de l'évaluationnite."

     

    Apaiser un monde enseignant déboussolé ...

    ... c'était une des promesses phares de François Hollande, qui s'était d'abord engagé à en reconstituer les troupes, saignées à blanc sous le précédent quinquennat : 60000 postes seraient recréés d'ici à 2017. La campagne de recrutement a démarré tambour battant, grâce à une mesure inédite : ce n'est pas une mais deux sessions de concours qui ont été ouvertes. [...] Le ministère de Vincent Peillon a ratissé large, ouvrant le deuxième concours aux étudiants qui terminent leur première année de master, c'et-à-dire à bac+4. Reçus à l'écrit en juillet, ils passeront les oraux en juin 2014, après avoir bouclé leur seconde année de master. Dans l'intervalle, ils prendront en charge des classes sur la base d'un tiers-temps.1

    Le pari du recrutement peut-il être tenu? Depuis plusieurs années, le nombre de candidats chute de manière dramatique. Des centaines de postes ne sont pas pourvus, particulièrement dans certaines matières, comme les mathématiques ou l'anglais. [...] Difficile de redorer le blason d'un métier réputé éprouvant, déconsidéré socialement. Le ministère affiche fièrement une hausse des inscrits aux concours, proportionnelle aux postes ouverts, et un nouveau vivier de 17000 nouveaux profs reçus ... sans dire que certains jurys de Capes ont dû descendre la barre à 6 de moyenne.

    1 - Pour compléter, tout titulaire d'un autre master peut se présenter au concours. C'est le cas d'Isidore mon stagiaire qui a plusieurs masters en droit, sciences politiques ; grâce à cela, il a eu le droit de se présenter aux écrits du Capes d'anglais et a été reçu. Ce faisant, son statut assez "bâtard" (mi-étudiant, mi-contractuel) fait qu'il pouvait accepter de 6 heures (tiers-temps) à 18h (plein temps) en classe : il a accepté les 9 heures dont mon collège avait besoin, mais certains de ses "camarades" dans la même situation ont pris des postes de 18 heures ...

    Isidore est bien plus préoccupé par les oraux de 2014 que par ses classes et son travail (voir l'article précédent) car s'il est reçu, c'est tout bon pour lui. Il sait parfaitement que cette année, personne ne viendra lui casser les pieds sur sa "pédagogie" et ne le recalera au concours pour ça ...
    > Un "vrai" stagiaire (lauréat du concours) est suivi par un tuteur qui rédigera un rapport, et sera visité une fois par un inspecteur, la combinaison des deux rapports présidant à sa titularisation, ou non, dans l'Éducation Nationale. Le tuteur a de réelles responsabilités et à ce titre touche une prime de 2000 euros - qui semble avoir été révisée à la baisse cette année  (ce serait 1000 euros, mais je n'en sais pas plus)
    > Mon "faux" stagiaire est suivi par un tuteur qui se "contente" de lui rendre visite en classe, lui donner des conseils et de l'accueillir dans sa classe pour des "observations", et ne recevra aucune visite d'évaluation. Considérant que le tuteur n'a pas de réelles responsabilités, l'Éducation Nationale lui octroie une prime de 400 euros. Dans tout ce schmilblick de statuts variés, tuteurs au rabais ... personne ne semble s'inquiéter du devenir des élèves qui passent une année entière entre les mains des Isidore.

     

     

     

    11 novembre 2013 | Quitter l'enseignement ? | Commenter


    16 commentaires
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    ... dans mon petit monde à moi.

     

    Un médecin a délivré un certificat médical à une élève de 3è affirmant que "pour des raisons de santé, Mademoiselle Machin ne peut assister aux cours de Mathématiques".

    L'administration du collège concerné (+ l'infirmière, le médecin scolaire, le CPE) tente de se dépatouiller de ce drôle de truc qui pourrait créer un précédent ... dramatique!

     

    *  *  *  

     

    Extraits de dialogues avec le "stagiaire" que je "coache" cette année. Appelons cet homme, qui a mon âge, Isidore (ça vous renseigne sur mon âge!)

    Sur les problèmes de discipline (bavardages, salle dans un état lamentable après ses cours ...)

    - "Prends leur carnet de liaison et tu écris un mot aux parents."
    - "Mais je ne sais pas quoi écrire."
    - "Tu décris ce qui a dérangé le cours."
    - "Ouais mais bon les boulettes de papier, les bouts de gomme ça dérange pas vraiment ... ça fait pas de bruit ... Et puis pour l'agitation, c'est normal, l'anglais c'est amusant!"
    moi, in petto : C'est amusant quand on fait des cours avec des activités ludiques ... ce que je n'ai pas vu à ce jour
    -
    "Et tu comptes prendre leur carnet à quelle occasion, alors? Quand ils se seront battus? Quand ils t'auront insulté?"
    - "Oui, voilà!"
    - "Alors ça, ça relève de la commission disciplinaire, voire du conseil de discipline, y'a pleins d'étapes intermédiaires qui te permettent à la fois d'obtenir peu à peu une attitude propice
    au travail ET d'informer les parents."

    - "Bon, ça fait 10 minutes qu'on parle discpline, sanctions, punitions ... ça me fatigue, quoi ... c'est pas le job."
    - "D'accord. Alors pose-toi une question en entrant en classe, fixe-toi une priorité. En termes humains, est-il normal que tu parles par-dessus les élèves? À toi de voir, en tant que personne, si tu souhaites te faire marcher dessus à chaque cours."
    - "...."
    - "...."
    - "Ah ouais ... quand même ..."
    - "Ben oui ... sachant que ton objectif pédagogique, c'est qu'ils entrent en classe avec un niveau N, et qu'ils ressortent avec un niveau N+iota ... Comment vas-tu atteindre cet objectif dans le bruit, sans contrôler leur travail, sans passer dans les rangs ...?"


    Sur tout le reste (mise en œuvre d'activités spécifiques, évaluations, préparation des cours)

    - "Tu as fait acheter le cahier d'exercices?"
    - "Non, je leur ai dit que nous n'en aurions pas besoin."
    - "Oui mais tu le leur photocopies à tour de bras, alors dis-leur de l'acheter, c'est pas vivable."
    - "Mais je ne peux pas revenir en arrière sur quelque chose que j'ai dit!"
    - "Si si, tu peux, tu as le droit de te tromper, tu as le droit de changer d'orientation, surtout en tout début d'année."
    - "Ah tu crois?"
    - "Oui."

    (8 jours plus tard)
    - "Tu leur as dit d'acheter le cahier d'exercices?"
    - "Euh ... non mais, c'est pas bon que je fasse marche arrière, en termes de crédibilité."
    - "Tu es crédible quand tu es cohérent ; là, tu ne l'es pas, tu leur photocopies le cahier intégralement ..."
    - "..."
    - "OK, si tu veux un autre argument, parlons des droits d'auteur ... Si l'inspecteur réalise ce que tu fais, ça va chauffer."
    Les gamins ont acheté le "workbook".


    - "Alors, le prétérit de "have got", c'est "had", faudra que tu leur fasses effacer le "got", d'accord?."
    - "T'es sûre?"
    - "Oui, je suis sûre."
    Nan mais oh, ça va bien oui!?


    - "Par exemple, cette leçon, tu pourrais commencer avec une vidéo, ou un jeu de vocabulaire, regarde, je te montre ce que j'avais fabriqué."
    - "Oh ... mais c'est du boulot, ça!"


    - "Faudrait quand même que tu élabores des leçons, des fiches de vocabulaire, tu vois ...."
    - "Ouais ... mais je suis pas fort en informatique ... c'est du boulot."

    - "Tu n'as fait qu'une évaluation en 8 semaines!?"
    - "Oui, je me conforme au manuel."
    - "Mais ... mais ... le manuel propose des évaluations finales, c'est à toi de fabriquer les évaluations intermédiaires, je t'en ai déjà parlé ... Comment tu sais que tu peux continuer si tu n'as pas vérifié l'acquisition des éléments petit à petit? Le manuel du prof n'est pas une Bible, tu sais!"
    - "Ah? Mais c'est du boulot, dis donc..."

    PUTAIN, OUI ... PROF, C'EST DU BOULOT ! 

     

    *  *  *  

     

    Hey! Il paraît que désormais, les nouvelles vacances de Toussaint à 15 jours sont inscrites au calendrier en tant que telles, et donc, nous n'aurons plus à les rattraper sur deux mercredi après-midis!
    Bien! (Même si je continue de m'en fiche d'avoir deux jours de plus par rapport à il y a deux ans, personne n'avait rien demandé ou exigé à ce propos, pour autant que je sache. Pi avant, au lieu de rentrer le jeudi x novembre, on rentrait la veille, un mercredi, histoire de compenser le vendredi du pont de l'Ascension, chose que désormais, nous faisons sur deux - autres - mercredi après-midis)

    Ah mais, hey! Vous êtes rentrés trop tard, alors faut rattraper une journée de rentrée ... sur deux mercredi après-midi.

    De quoi? D'où? C'est kouâ c't'histoire? Z'êtes sérieux? 

    Ce qui est "rigolo", c'est que personne ne trouve le texte officiel qui aurait fixé la rentrée au vendredi 30 août 2013, ni un texte qui l'aurait repoussée au lundi 2 septembre. RIEN. Et tout ce schmilblick a été "voté" ou "décrêté" pendant l'été.

     

    Prout prout prout - en classe, je fais mon taf, on s'amuse assez souvent, j'ai fini le montage des vidéos de présentations pour l'échange avec les Américains, y'a une centaine d'empreintes digitales différentes sur mon dictaphone que j'utilise pour des évaluations orales individuelles (les gamins adorent), j'ai au bas mot entrre 5 et 10 évaluations pour chaque classe, je passe la moitié de mes récrés à parler avec un élève de 3è dépressif ou un ptit 6è qui a une vie passionnante à me raconter , je ne fais pas tout à la perfection, toussa

    Jusqu'à quand je pourrai faire le dos rond?

    Je ne sais pas - pour l'instant, ça va bien!

     En classe

     

     

    9 novembre 2013 | Quitter l'enseignement ? | Commenter


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