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    Quoi?

    Quoi?

    Le Beaujolais nouveau? - Ben t'as 10 jours de retard ma fille!
         Mais nooooon, d'abord c'est pas très bon, le Beaujolais nouveau j'en ferais pas une crise d'excitation, franchement ...

    Bon ben quoi alors? Zorro? Le Messie?
         Pfff, ceux-là, je n'y compte plus depuis plusieurs lurettes, hein. Rha ... mais non!

    Bah t'as qu'à dire, crotte! Il est arrivé ... quelque chose?
         Ah ça, il s'en passe des choses dans ma vie, mais non, non, c'est pas ça.

    Oh, hé, t'as fini oui? Un colis postal attendu depuis 2005?
         Ben ça ferait longtemps que j'aurais gueulé comme un putois!

    Le bon tirage au loto?
         J'y joue pas, je suis pas complètement idiote, non plus!

    Le Père Noël?
         Mais euhuhuh!

    Mais crache-la ta Valda!

    ...

    Mon rapport d'inspection!!

     

    Aaah .... et alors?
         Ben alors il est pas mal du tout, et dans une crise de vanité aiguë totalement assumée malgré l'inanité globale de la chose, je vous en livre les meilleurs extraits. Na!

    *Les élèves sont accueillis de façon chaleureuse ...

    *Le professeur présente [...] à l'aide du TBI dont il manie les fonctionnalités avec grande dextérité ...

    *Madame LULETTE s'est investie pleinement dans l'usage des nouvelle technologies en classe ; cela lui permet de laisser libre cours à sa créativité pour ancrer son enseignement dans une réalité culturelle authentique renforcée par des pratiques de classe acquises lors de son séjour dans un établissement américain...

    *En conclusion, Madame LULETTE est un professeur très impliqué dans son travail qui expérimente beaucoup de choses de façon à développer la motivation de ses élèves [...]. Madame LULETTE a toute ma confiance, et je lui sais gré d'avoir accepté d'accompagner un contractuel/admissible dans ses débuts dans la profession.

     

    GNARK

    OUF

     

    Reste à connaître  ma nouvelle note pédagogique ... )

     

     

    30 novembre 2013 | Quitter l'enseignement ? | Commenter


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    2 ou 3 septembre 2013
    Valentin, élève de 3è que j'ai eu le grand plaisir d'avoir en 4è, fait une tentative de suicide. Il semble que le "collège" soit lié à cet acte. Il devait revenir le 4 novembre après les vacances de Toussaint, un programme de rattrapage des cours a été mis en place, auquel je participe ... en lui donnant des cours à domicile que je débute jeudi 7 puisqu'il ne parvient toujours pas à envisager son retour au collège.

    5 novembre 2013
    François, un collègue, est sauvé in extremis d'une tentative de suicide par le Principal-Adjoint, qui a eu la puce à l'oreille. Je connais le parcours de François, ce drôle de bonhomme que je croise chaque jour : bipolaire qui se soigne, tumeurs au cerveau en 2011 qui nécessitent une opération, laquelle diagnostique des tumeurs bénignes, divorce dans la foulée, son ex-femme qui lui mène la vie dure, porte plainte, monte ses enfants contre lui.

    12 novembre 2013
    Je m'apprête à rejoindre Valentin chez lui pour un 2è cours sur les 8 programmés. Mais je reçois un message écrit pendant un cours :  Valentin est hospitalisé à nouveau - ne pas se présenter pour les cours.
    OK ... j'ai compris ...

    Depuis septembre, j'enregistre ces informations, les trie, les classe, les range, intellectuellement perturbée mais sans réaction émotionnelle particulière. C'est  une question de peau, je crois ...
    Ma peau.

    Ce soir, je me suis fait une "playlist" tandis que je saisissais des dizaines de notes dans le logiciel scolaire.

    Me suis rendu compte qu'elles n'étaient pas folichonnes, mes chansons.

    Me suis arrêtée de "rentrer" des notes en dressant l'oreille sur des paroles.

    Ma gorge s'est nouée.

    La carapace s'est fendue.

     


    Sufjan Steven - John Wayne Gacy Jr.

     

    His father was a drinker
    And his mother cried in bed
    Folding John Wayne's T-shirts
    When the swingset hit his head
    The neighbors they adored him
    For his humor and his conversation
    Look underneath the house there
    Find the few living things
    Rotting fast in their sleep of the dead
    Twenty-seven people, even more
    They were boys with their cars, summer jobs
    Oh my God

    Are you one of them?

    He dressed up like a clown for them
    With his face paint white and red
    And on his best behavior
    In a dark room on the bed he kissed them all
    He'd kill ten thousand people
    With a sleight of his hand
    Running far, running fast to the dead
    He took off all their clothes for them
    He put a cloth on their lips
    Quiet hands, quiet kiss
    On the mouth

    And in my best behavior
    I am really just like him
    Look beneath the floorboards
    For the secrets I have hid
    Son père buvait
    Et sa mère pleurait dans son lit
    Elle pliait les T-shirts de John Wayne
    Quand la balançoire heurta sa tête
    Les voisins l'adoraient
    Pour son humour, sa conversation
    Regardez sous la maison
    Trouvez-y les rares choses vivantes
    En train de pourrir dans leur sommeil sans vie
    27 personnes, même plus
    C'étaient des garçons, leurs voitures, leurs jobs d'été
    Oh mon Dieu

    Es-tu l'un d'eux?

    Il s'habillait en clown pour eux
    Le visage peint, blanc et rouge
    Et dans ses meilleurs moments
    Dans une pièce sombre, sur un lit, il les embrassait tous
    Il tuerait dix mille personnes
    D'un seul geste de la main
    Courir loin ... courir vite vers la mort
    Il leur a retiré tous leurs vêtements
    Il a posé un tissu sur leurs lèvres
    Mains calmes, baiser calme
    Sur la bouche

    Et dans mes meilleurs moments
    Je suis vraiment comme lui
    Cherchez sous le parquet
    Les secrets que j'ai cachés

    Chaque mot de cette chanson ne (me) parle pas forcément pour le sujet de ce billet, mais mon âme pleure sur ces 2 lignes : "Les voisins l'adoraient pour son humour et sa conversation" ... Valentin ... 14 ans ... garçon délicieux, doux et drôle, ouvert et cultivé, indépendant, imperméable en apparence ... a choisi de se faire violence.
    Plus globalement, la violence de découvrir qu'un proche est un tueur ... je la rapproche de la violence de découvrir qu'un proche a voulu en finir. Et puis, le parcours d'une souffrance.

    La souffrance est telle ... telle ... que pour certains, tuer l'autre est une recherche de la solution, pour d'autres, mettre fin à "moi" est une solution ... Et pour ceux qui restent, qui attendent, tentent, espèrent ... la souffrance est innommable.

    Je n'ai pas encore "osé appeler les parents de Valentin.

     

     * * * * *

     


    Cat Power - Maybe not

     Je n'arrive pas à traduire correctement le texte de cette chanson, il est tard, je suis fatiguée, et je désire publier pourtant. Disons qu'il y est question de rêve libre, de rêve de liberté, que si nous ne possédons rien, nous ne pouvons rien perdre (je réalise soudain combien c'est faux ... l'amour d'un ami, d'un amour, d'un parent ?! Abattre un arbre, arracher une forêt, mettre à mort un taureau, dézinguer un loup? ... Refuser des soins psys à ma sœur autiste? ... ) ..., que nous pouvons tous être libres, peut-être pas (le titre) par la puissance du verbe, peut-être pas par la puissance du regard, mais juste dans l'esprit.

    Et ces paroles me font peur tout à coup - vouloir en finir, n'est-ce pas justement que l'esprit ne s'en sort pas, ne s'en sort plus, prisonnier de contingences matérielles, aliéné à des chimères, malmené par ce qui fit son bonheur, perplexe et désemparé devant de nouvelles donnes? À l'heure où j'écris, racisme et homophobie redeviennent "présentables", "acceptables" en Europe ..., le droit à la différence a de sombres jours devant lui ... le droit de rêver et d'être autre, d'être simplement soi ....

    J'ai peur pour Valentin.
    J'ai peur pour François.

    J'ai peur pour moi si ... le jour où  on nous annoncera ...

     

    Et tandis que je rédige laborieusement ces dernières lignes qui me fouaillent la poitrine, une autre chanson me vient soudain.


    Hervé Cristiani - Il est libre, Max

     

    Et ma gorge se dénoue.
    Les larmes racontent.
    Libèrent.

     

    Pour un temps.

     

    Car ... comment planter la graine de Max dans un esprit qui s'est déserté à lui-même?

     

     

     

    13 novembre 2013 | Quitter l'enseignement ? | Commenter


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