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    Classe de 4è

    Mercredi 23 avril : ils doivent me rendre un devoir fait à la maison ; une quinzaine de  phrases évoquant ce qu'ils vont faire et ne pas faire durant les vacances de printemps, afin de mettre en pratique la leçon sur le futur et les différentes formulations de type "J'espère que...", "Je pense que...", "Peut-être que..." ainsi que l'obligation au futur.
    Déjà, sur 23 ou 24 élèves présents, je ne collecte que 18 ou 19 copies...
    Et je refuse une grosse douzaine d'entre elles, celles qui ressemblent à de vrais torchons : pages déchirées du cahier de brouillon, feuilles ayant servi à d'autres exercices lors de cours précédents, morceaux découpés, il manque souvent le nom, la classe, et quand ces infos sont indiquées, elles le sont dans la marge à mi-hauteur ou sous le travail ...
    Énième rappel du pourquoi-comment une belle copie bien présentée ...

    Comme je ne les revois pas avant les vacances, j'insiste sur l'obligation de remettre le travail dans mon casier avant le lendemain soir, afin d'éviter une pénalité encore plus lourde que celle prévue.
    Avant de partir en vacances, mon casier est désespérément vide de copies ...

    Lundi 12 mai : je rends les quelques copies qui m'avaient été correctement rendues en temps et en heure; une forêt de doigts se lève. Plusieurs élèves affirment avoir remis leur devoir dans mon casier, et après enquête, je découvre que ce qu'ils appellent "casier" est le bureau de la loge d'accueil ! Je fais chercher les copies, qui y étaient effectivement, mais tollé quand j'explique mon étonnement plus qu'agacé que des élèves fréquentant l'établissement depuis bientôt 3 ans ne connaissent pas l'existence de la salle des profs ... et que de toute façon, comme prévu, ils auront une pénalité de 25%.

    M'interpellent ensuite ceux qui ont fait le devoir pendant les vacances et ne me le remettent que ce jour. Protestations pour la pénalité de 50% dont ils écoperont.

    Je me tourne enfin vers les élèves dont je n'ai jamais vu la copie, et demande les carnets de liaison pour signaler que le travail n'a pas été fait. Commence une drôle de bagarre qui sent la madeleine amère -  j'ai l'impression de me retrouver 13 ans en arrière, dans le collège d'une banlieue parisienne classé ZEP - Zone sensible - Zone violence, où chaque demande de carnet donnait lieu à des "négociations" plus ou moins sereines, plus ou moins polies, plus ou moins farfelues... 

    - "J'étais pas là le 23."
    - "Et ? Cela dispense-t-il de faire le devoir ? Première nouvelle."
    - "Mais on avait plus cours d'anglais ! Et puis je savais pas !"
    - "Tu n'as pas vu tes camarades en revenant le 24 ?"
    - "On m'a rien dit !"
    - "Mais c'est à toi de te renseigner, souviens-toi, c'est à vous de rattraper les cours et les devoirs que vous avez manqués, tu le sais très bien."
    - "Ouais mais ProNote marche pas. Et puis de toute façon j'étais en Normandie pendant les vacances !"
    - "Quel est le rapport ?"
    - "Ben j'étais pas là pendant les vacances !"
    - "Donc c'est de ma faute ?"
    - "Ben c'est pas la mienne !"
    Durant tout ce dialogue, j'ai la main tendue, attendant le carnet, que je finis par obtenir.

    - "Mais c'est pas d'ma faute ! J'ai oublié !"
    - "Tu as oublié de consulter ProNote, aussi ? Tu ne l'avais pas écrit dans ton agenda ? Montre-moi ton agenda.... Ah, dis donc... ça fait un moment que je ne donne plus de travail en anglais, si je me fie à tes écrits..."
    - "ProNote marche pas !"
    - "Peu importe, ce n'est même pas noté dans ton agenda, et ça, c'est ton obligation première... surtout si tu n'as pas ProNote. Ah la la, qu'est-ce que c'est pratique les pannes d'informatique qui ne touchent que ProNote !"

    J'avertis donc que c'est leur dernière chance, remplis de nombreux carnets pour signaler la situation aux familles, et peux enfin commencer le cours...

     

    Mardi 13 mai : je vérifie si les mots dans le carnet ont été visés par la famille. Rocambolesque !
    Pour la jeune fille extrêmement vindicative, Maman a écrit un mot confirmant qu'ils n'avaient pas accès à ProNote durant les vacances - je me fends d'une page d'explications (un travail à rendre reste à rendre même si l'on a été absent.... qu'à ce jour - 23 jours après voir donné le devoir - je ne l'ai toujours pas en main...).
    Le jeune homme pour qui ProNote tombe toujours en panne n'a pas fait signer le carnet :
    -" Mais mon père l'a vu."
    - "Je n'en ai pas la preuve, tu as donc un rappel un règlement."
    - "Ben z'avez qu'à l'appeler si vous m'croyez pas."
    - "Mais bien sûr, je n'ai que ça à faire... Oh, ben... y'a même pas les numéros de téléphone dans ton carnet! Tu me donnes son numéro, s'il te plaît ?"
    - "Je le connais pas."
    - "Ben voyons..."

    Je rends alors les devoirs collectés la veille, avec une note divisée par deux. Protestations de Zébulon, qui était absent du 23 au 25 avril inclus et m'a bien remis le devoir au retour des vacances.
    - "Ton absence est justifiée?"
    - "Oui, z'avez qu'à regarder mon carnet !"
    ...
    - "Ben je ne vois aucun justificatif d'absence pour cette période, c'est ballot..."
    - "Mais si !" , excédé, "y'a un papier quelque part dans le carnet !"
    Je fouine et tombe sur un certificat médical délivré le 23 avril par un médecin urgentiste.
    - "Euh ... Zébulon... ça c'est une dispense de sport... J'ignorais que l'Anglais était devenu une matière sportive..."

    ET CAETERA

    ET CAETERA

    Et ça ne va pas en s'arrangeant, les conseils de classe arrivant (les notes sont donc bouclées) ...

     

    Je suis désespérée tant j'ai l'impression d'être la "conne" du dîner de cons organisé par une bande de figurants payés une misère dans un programme de télé-réalité où la course à l'ignorance, la fainéantise et la mauvaise foi fait gagner des "points".

    Pour votre "culture", de la  2è minute à ... de cette vidéo

    Avec cette classe à l'ambiance provoc', qui refuse de participer, remet sans cesse en cause les cours ou  l'évaluation, lourde de regards étincelants et de ricanements échangés, sans réel travail sinon pour 4 ou 5 gamins imperméables, j'ai adopté la technique du "Je vais bien tout va bien", déjà testée dans le Bronx ... sans grand succès - disons qu'elle a le mérite de ne pas faire de vous un candidat potentiel aux Assises...

    Je vais bien, tout va bien !

     

     

    PS : dans cette mécanique s'ajoutent divers comportements légèrement totalitaires ou bugs gros comme mon nez en provenance de l'administration. Je me retrouve donc à l'origine d'une "fronde" dont nous allons présenter à la Cheffe un résumé cette semaine.

     

    *soupir*

     

     

     9 juin 2014 | Quitter l'enseignement ? | Commenter (5)Retour aux articles récents


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    ... remettez votre ouvrage

    Cent fois sur le métier de prof, méditez.

    Depuis une dizaine d'années je pratique une activité "annexe" en classe, c'est-à-dire qu'elle ne fait pas partie d'une leçon ou d'une séquence, que je ne l'évalue pas, que je ne la programme pas.

    Il s'agit d'écouter un morceau de musique et de s'exprimer ensuite en anglais. L'idée est simplement que sous couvert de la détente, les élèves apprennent à s'exprimer, donner leur avis et le justifier. J'ai créé à cette fin une fiche de vocabulaire récapitulant les différentes manières d'exprimer ses goûts, les éléments musicaux (instruments, voix, paroles, chœurs), les adjectifs permettant de décrire son sentiment de manière négative, neutre ou positive, et une série d'expressions du type "Ça me donne envie de + verbe", "Ça me rend + adjectif" ...

    Généralement, quand je présente l'activité pour la première fois, on fait de "l'orage de cerveaux" pour mettre en commun tout le vocabulaire relatif à la musique, puis je leur donne la fiche, que nous décryptons, puis on y va. J'insiste énormément sur la nécessité de développer son discours et de sortir du "I like it" basique et sans intérêt réel, ni dans sa forme, ni dans son contenu. Ensuite, je la mets en œuvre quand l'occasion se présente (en fin de cours quand le travail a été bon, en récompense après un gros boulot, après un contrôle ...)

    Je viens de découvrir qu'il était peut-être temps de changer cette approche.

    Hier matin avec une classe de 6è, nous finissons des révisions de la leçon sur les goûts (accompagnée de vocabulaire alimentaire, les saisons, les couleurs ...). Ils sont rapides, tellement rapides qu'au bout de 25 minutes, je suis dépourvue d'activités. Eurêka, j'ai des exemplaires de la fiche dans la salle. Je la distribue, et pour le bien d'une mise en pratique immédiate directement en lien avec ce que nous révisons, je n'explique rien, et passe la chanson de John Newman. Je m'attends à des "I like it", "I don't like it", et c'est pas grave, j'envisage de les inciter à développer un peu en s'appuyant sur la fiche.

     

    Bah bah bah, c'est un festival!

    "I love that music, it makes me want to dance."

    "I like it but the voice is strange" (mot donné avec mon aide)

    "I love it! The rhythm is good!"

    ...

    La prononciation laisse à désirer, et je corrige doucement, médusée. Les gamins dansent sur leur chaise, pressés de dire un truc, d'autres en fredonnant le refrain.

    Fort bien, je vais leur passer un truc moins contemporain (ils connaissent très bien cette chanson). Je passe à Akendengué,"Epuguzu". Leurs visages se ferment un peu, une élève me demande direct si je peux changer tout de suite.

    Ils me sollicitent très vite pour savoir comment on dit "ennuyeux" (je leur montre sur la fiche), mais quelques-uns s'affirment en disant "It's good, I can dance!", "I like it, it's funny" ou encore "I like the language, it's interesting." Le but n'étant surtout pas qu'ils aiment ce que j'aime, je laisse largement la place aux mécontents, mais c'est amusant, ils cherchent moins à développer, se contentant d'un "I hate it."

    Comme il nous reste du temps, je finis avec Asaf Avidan, "613 shades of Sade". Les avis sont tièdes, ils n'accrochent pas, sans toutefois détester, je vois bien que les sonorités orientales les "dérangent", ainsi que la voix très particulière. Là encore, ils parviennent à exploiter la fiche sans mon aide.


    Et quand je leur donne le nom de l'artiste, des exclamations de surprise fusent un peu partout. Ils connaissent le bonhomme dont ils apprécient apparemment l'ancien tube, "One day", et n'ont absolument rien reconnu de lui dans ce nouvel opus. Je sens que ça mouline dans leur tête, que les émotions et avis sont en train de se modifier,mais ça sonne.

    C'est la récré, et je sors de classe avec un air de ravie de la crèche, fredonnant quelques notes, avec cet émerveillement propre à mon métier : ça n'arrive pas tous les jours, mais de tels épisodes montrent combien la routine n'est pas vraiment le mot-clé du métier, combien aussi un groupe peut te montrer tes écueils, mettre le doigt sur le fait que toi, tu es tombée dans la routine en voulant exploiter une fiche et une activité d'une certaine manière et plus d'une autre, t'interpeller soudain en te fourrant sous le nez le danger qui nous guette tous de manquer parfois de confiance en eux.

    J'adore quand on me "remonte les bretelles"de cette façon!

     

    Cela dit, nous sommes d'accord avec ma grande copine, leur prof principale : nous avons une Rolls Royce avec cette classe, ça ronronne très bien, ça sait accélérer sans heurts. Une chimie de groupe exemplaire et malgré tout assez rare.

     

     

     24 janvier 2014 | Quitter l'enseignement ? | Commenter


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